jeudi 19 janvier 2012

dans ma PàL...Nuit de Edgar Hilsenrath,

 ma librairie favoriteAchat du 7 février... 
revue de presse
Par Bruno Corty

Edgar Hilsenrath : « Je ­n'imaginais pas qu'écrire des histoires sur un ton décalé, burlesque, pouvait poser problème. » Hilsenrath : «Le grotesque, c'est rire de la mort»




Le survivant des ghettos roumains, quatre-vingt-six ans, a choisi le burlesque pour dire l'horreur.


Juif né à Leipzig en 1926, Edgar Hilsenrath a survécu à plusieurs années dans un ghetto roumain pendant la Seconde Guerre mondiale. Ses romans les plus célèbres, Fuck America et Le Nazi et le Barbier, qui sont des best-sellers mondiaux, ont fait scandale en Allemagne où l'on a peu apprécié sa manière grotesque et burlesque d'aborder la Shoah.

LE FIGARO. - D'où vient l'humour de vos livres?
Edgar HILSENRATH.-Je me suis beaucoup frotté à l'humour juif tel qu'il est pratiqué dans les shtetl roumains et qui n'est rien d'autre qu'une façon de se moquer de manière ironique de ses semblables. Je me sens proche de quelqu'un comme Sholem Aleikhem.

Dans ce cas, pourquoi le yiddish est-il absent de vos histoires?
J'ai un humour yiddish, mais je ne peux pas le convertir en mots.

Dans Fuck America, votre double, Jakob Bronsky, dit que les écrivains allemands manquent d'humour. Vous partagez et avis?
Oui, on peut dire ça. D'ailleurs, je me considère plutôt comme un écrivain juif de langue allemande.

Avec Le Nazi et le Barbier, vous avez été le premier - longtemps avant Jonathan Littell - à choisir pour héros un nazi. Vous saviez que vous alliez scandaliser, non?
J'étais le premier à prendre ce risque, bien avant Les Bienveillantes, qui ne sont à mes yeux qu'un reportage journalistique, mais je ne le savais pas. À l'époque, je ne pensais absolument pas aux réactions des lecteurs. Je n'imaginais pas qu'écrire des histoires sur un ton décalé, burlesque, pouvait poser problème. Le roman est sorti d'abord aux États-Unis, en 1971, ou il est devenu un best-seller, puis six ans plus tard en Allemagne où il a fait scandale. J'ai quand même été défendu par Heinrich Böll qui a avoué que cette lecture l'avait laissé «au seuil du dégoût» (rire).

À cause du sujet?
À cause du langage et de la sexualité exprimée de manière explicite.

Dans le ghetto roumain où vous avez vécu quatre ans, était-il possible de connaître autre chose que l'horreur?
J'ai aussi connu quelques fous rires. Mais en ce temps-là on ne riait pas vraiment ou alors on le regrettait!

Vos dialogues sont souvent hilarants. Que masquent-ils?
Écrire des choses grotesques, c'est ma façon de rire de la mort. Je veux qu'elle vous reste dans la gorge!
«Nuit» d'Edgar Hilsenrath, traduit de l'allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb, Attila, 560 p., 25 €.


La nuit tous les chats sont noirs.
EDGAR HILSENRATH - NUIT (ATTILA, 2012 - TRAD. JÖRG STICKAN ET SACHA ZILBERFARB)
jeudi 19 janvier 2012, par Antonio Werli
Dans Fuck America, Jakob Bronsky tente d’écrire LE livre du ghetto, intitulé Le Branleur, qui relaterait de l’intérieur cette expérience absolument démente de l’histoire, surtout éminemment personnelle puisque Jakob Bronsky est le double fictionnel de l’auteur, juif allemand né en 1926, Edgar Hilsenrath, qui vécut peu ou prou les affres contées dans Fuck America comme dans Le Branleur. Dans Fuck America, Bronsky raconte la galère dans laquelle il se trouve, à New York dans les années 50, pour écrire et « vendre » son roman. Fuck America a été publié en 1980 en Allemagne, décennie qui vit enfin Hilsenrath porté au pinacle dans son propre pays, et il fallait bien en passer par là pour voir Nacht y être (re)considéré, mais avec quelques dizaines d’années de décalage (la première publication allemande date de 1964 et a subi une espèce de censure passive, vu que personne ne s’est mouillé pour rééditer l’ouvrage pendant presque vingt ans). Jolie mise en abyme, au fond, mettant en lumière le malheureux parcours éditorial d’un écrivain qui avait tant à dire, de manière si peu conventionnelle. Classique aujourd’hui et couvert de prix, Hilsenrath n’a pas toujours été en faveur auprès du public allemand — trop moralement subversif, pour résumer. Pourtant, ailleurs comme aux Etats-Unis, The Nazi and the Barber avait été best-seller... et en France, après les années 70 où il a disparu de la circulation, c’est à Attila que nous devons une retraduction complète, et fidèle au ton de l’auteur, de Le nazi et le barbier, parue il y a de presque deux ans.


 D’autres livres d’Hilsenrath ont été édités en France, mais il reste des inédits, dont ce premier roman et véritable chef-d’œuvre qu’est donc Nuit, dont parle Hilsenrath dans Fuck America comme étant le livre que Bronsky ne cesse d’écrire, ce fameux Le Branleur.

Remettre toute cette affaire dans son contexte n’est pas indispensable pour lire, comprendre et apprécier Nuit. Cela permet cependant de saisir l’énergie et le projet qui sous-tend son écriture, et — comme la plupart des romans d’Hilsenrath, quand bien même ils opèrent dans les parages du burlesque, du carnavalesque, du parodique et du mythique — en fait un très très très grand livre.
Nuit
1941, Prokov, ville ukrainienne occupée par l’armée roumaine. Ranek cherche un abri dans le ghetto, comme la foule de plus en plus importante de juifs sans-abris, suite aux destructions de la guerre. C’est à l’asile de nuit — une ruine —, parmi les derniers des humains, qu’il trouve une place, moyennant quelques pelures de patates ou de vieux mégots. Ce n’est pas la place la plus confortable, mais au moins, il peut échapper aux rafles, à la pluie, au froid. 

Ses propres fantômes semblent moins effrayants que ses congénères, il faut avouer que très rapidement les descriptions crues de ce monde clos et hermétique qu’est le ghetto, fondant un retour presque irrémédiable vers une forme de sauvagerie, appellent les plus terrifiantes images qu’a pu porter la littérature fantastique et d’horreur. La vie réduite à la survie évacue toute péripétie et tout ornement pour ne laisser que l’essentiel, et c’est en fait un texte qui oscille entre réalisme et expressionnisme qui s’annonce. 

Ranek n’a pas le loisir de s’attarder sur des détails ou de considérer ce qui advient. Il n’y a plus d’anecdotes mais une suite continue de moments qui occupent l’estomac des protagonistes (ici on accouche et là on viole une vieille femme, ici on porte un mort et là on enterre un vivant, ici on tabasse un cadavre et là on caresse un enfant, ici on agonise dans une rigole et là on se cache dans un trou, ici on passe une heure aux putes et là on boit un demi-café, ici on blague, là on insulte) ; il est indispensable d’entretenir sa mémoire, de remplir ses entrailles et de réchauffer son corps : voilà ce à quoi mène l’extraordinaire et contradictoire pulsion de vie des hommes et femmes du ghetto de Prokov. 

Autour de Ranek gravitent plusieurs personnages, ils appartiennent tous à ce lieu, avec leurs différences de statut et de classe, redéfinies dans les limites du ghetto même. Prostituées, médecins, vagabonds, malades, sans-abris, mendiantes, commerçants, parents, soldats, enfants, accoucheurs, miliciens juifs, chiens errants, toute une comédie humaine définit le peuple du ghetto et en fait le système économique, émotionnel et organique. Mais malgré cette construction humaine qui obéit elle aussi à quelque chose qui lui échappe comme chacun des personnages qui la constitue, tout se désagrège, se détériore. 

Les mieux lotis perdent leurs moyens, les vagabonds attrapent le typhus, les morts se font voler leurs dents en or. La bataille est en réalité double : contre la maladie et la faim mais aussi contre la perte totale de toute humanité. Hilsenrath soulève alors un grand paradoxe de l’âme humaine. Les hommes et femmes tels que Ranek ne parviennent pas à se résigner et à se laisser mourir ; ils préfèrent, frôlant les limites ultimes de la bestialité, perdant pratiquement toute morale, tout principe, toute éthique, bref toute transcendance, remplir leur estomac peu importe avec quelle matière quand bien même aucun jour ne peut être espéré sur leur nocturne existence — et c’est avec du solide qu’il faut le faire, avec de la semelle, des épluchures, de la terre, pas avec une foi ou un espoir inutilisables.

On comprend aussi pourquoi Nuit a pu déranger à ce point. Pas un mot sur les traditionnels méchants nazis, pas un point de comparaison avec la soldatesque, avec le bras mécanique ganté de noir d’une machinerie de destruction massive qu’on trouve si souvent dans les récits inspirés et témoignant de la tragédie de la Seconde Guerre Mondiale.

 Aujourd’hui où le recul permet d’accepter plus facilement de franchir la barrière morale qui empêchait bien plus il y a quelques dizaines d’années de parler des juifs dans ces termes crus, sans balance, apparaît mieux encore la vision géniale et instinctive d’Hilsenrath : la question au cœur de Nuit, la question au cœur du périple de Ranek n’est pas tant la question de la guerre, des juifs, des crimes, de la morale ou de la justice, la question est celle de savoir ce qu’est au plus profond l’humain lorsqu’il est entièrement dépossédé de son humanité. Nuit en donne un aperçu marquant dont il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit, sinon que la vie est peut-être la chose la plus étonnante et la plus mystérieuse qui arrive dans la vie.
  
Illustration : Le Cabinet du Docteur Caligari (Robert Wiene, 1920).

  • Broché: 560 pages
  • Editeur : Attila (19 janvier 2012)
  • Collection : HORS COLL
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2917084421
rongés pratiquement tous !  
contente de voir qu'un nouveau va paraître... 



Edgar Hilsenrath, né le 2 avril 1926 à Leipzig, est un écrivain juif allemand, 




Edgar Hilsenrath est venu au monde en 1926 dans une famille de commerçants juifs. Il a grandi à Halle. Avant « la nuit du pogrom du Reich » en 1938, il s'est enfui avec son jeune frère et sa mère chez ses grands-parents à Siret en BucovineRoumanie. Le père avait eu tout d'abord l'intention de les rejoindre, ce que la déclaration de la guerre a rendu impossible; il gagna la France où il resta pendant toute la guerre.

 En 1941 Edgar Hilsenrath, son frère et sa mère, ainsi que tous les camarades et les parents de Sereth furent déportés dans le ghetto roumain de Mogilev-Podolsk, qui se trouve aujourd'hui en Ukraine

Lorsque le ghetto fut libéré en mars 1944 par les troupes russes, Hilsenrath se rendit à pied à Sereth et de là gagna Tchernivtsi. Avec l'aide de l'organisation de Ben Gurion, Hilsenrath, ainsi que de nombreux juifs survivants, tous munis de sauf-conduits étrangers, gagna la Palestine. Pendant le voyage, aussi bien qu'en Palestine même, il lui arriva souvent de se trouver en prison, mais à chaque fois il recouvra peu après la liberté. 

En Palestine il vécut de petits jobs, ne se sentit cependant jamais chez lui et résolut en 1947 de rejoindre en France sa famille, qui s'était dans l'intervalle trouvée réunie. Au début des années cinquante la famille entière émigra à New-York. Là, Edgar Hilsenrath subvint à ses besoins à l'aide de petits boulots, tout en écrivant son premier roman, La Nuit, dont la première publication a rencontré de sérieuses difficultés, parce que la direction de la maison d'édition, effrayée par la crudité du texte, retira le livre de la vente peu de temps après sa parution (voir la note sur la critique acerbe de Raddaz, sous la rubrique « Littérature »). Le roman suivant Le Nazi et le Barbier, qui a fait connaître Hilsenrath en tant qu'écrivain aussi bien en Allemagne que dans le monde entier, a été conçu pendant un long séjour à Munich. En 1975 Edgar Hilsenrath est revenu définitivement en Allemagne pour baigner dans la langue allemande. Depuis il réside à Berlin.

 Depuis son premier roman La Nuit, dans lequel il relate avec un réalisme cruel son expérience en tant que survivant du ghetto, Hilsenrath prend l'Holocaust comme thème central sans jamais porter une seule accusation directe ni dépeindre les criminels et les victimes en noir et blanc, le but de son œuvre entière étant d'écrire contre l'oubli. Alors que La Nuit est un roman d'un style réaliste, Hilsenrath dans le reste de son œuvre est passé à des formes d'expression plus vigoureuses, qui tiennent le lecteur à distance, comme par exemple la satire, le grotesque ou le conte.

 Le Spiegel écrit sur son roman Le Nazi et le Barbier: « ... une satire sur les juifs et les SS. Un roman picaresque, grotesque, étrange et parfois d'une cruelle sobriété qui évoque avec un humour noir une sombre époque. » Le livre, écrit en 1968/69, ne parut en Allemagne qu'après avoir été publié en 1971 avec succès aux U.S.A. dans la traduction anglaise sous le tìtre The Nazi and the Barber. A Tale of Vengeance. Après que le manuscrit eut été refusé par plus de 60 maisons d'édition allemandes, le roman parut enfin dans les derniers jours d'août 1977 chez un petit éditeur de Cologne Helmut Braun. La première édition de 10.000 exemplaires fut vite épuisée, deux autres éditions suivirent rapidement. Le livre fut très positivement accueilli par Heinrich Böll, entre autres, dans Die Zeit du 9 décembre 1977 et plus de 250.000 exemplaires se vendirent en Allemagne. 

Le livre fut édité dans 22 pays, en 16 langues différentes. Dans le roman Le Conte de la Pensée Dernière, paru en 1989 et pour lequel Hilsenrath reçut le Prix Alfred Döblin, l'auteur s'attaque au problème du souvenir et du récit historique. 

En décrivant le génocide arménien et en le comparant à la Shoah, Hilsenrath s'élève contre toute forme de violence faite à un peuple et met en garde contre l'oubli. La forme du conte, choisie par l'auteur, pour s'attaquer au mensonge signifie également que l'histoire racontée n'a plus de témoins. Dans beaucoup de livres d'Hilsenrath on trouve nettement des traits autobiographiques, qui sont cependant habituellement repris sous forme de fiction. L'ouvrage autobiographique le moins romancé est probablement paru en 1997 sous le titre Les Aventures de Ruben Jablonski.
 Les œuvres d'Hilsenrath out été traduites en 18 langues et se sont vendues dans le monde entier à plus de cinq millions d'exemplaires. Beaucoup de couvertures de livres furent conçues par Natascha Ungeheuer, une artiste amie d'Hilsenrath. En Allemagne, la plupart de ses ouvrages sont parus dans les éditions Piper, une maison qui rendit cependant en 2003 tous ses droits à l'auteur. De 2003 à 2008 la maisons d'édition Dittrich (située d'abord à Cologne et depuis 2006 à Berlin) avec Helmut Braun comme éditeur, a publié Les œuvres complètes d'Edgar Hilsenrath en 10 tomes, édition qui, outre les huit titres de romans, réunit les récits en prose et les articles de presse jusque là éparpillés (dans: Ils battaient la mesure à coups de poing, Tome 9) ainsi que le tout nouveau roman Berlin ... Terminus (Tome 10).

bien décidée à lire l'intégrale 

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